Le sujet du travail futur est fréquemment relancé par des statistiques frappantes, telles que les 52 % de jeunes entre 16 et 30 ans qui expriment le désir de devenir un jour travailleurs indépendants ou de lancer leur propre affaire. Ces aspirations sont renforcées par des avancées technologiques importantes, comme le développement de l’intelligence artificielle générative, qui remettent en question nos repères habituels et nos structures organisationnelles.
En l’espace d’une décennie, le nombre de travailleurs autonomes a crû de plus de 50 %, passant de près de 3 millions à plus de 4,5 millions. Cette évolution est loin d’être subie ; elle reflète plutôt l’émergence d’une culture de l’indépendance, marquée par un désir croissant d’entreprendre, surtout parmi les jeunes générations. Ce mouvement est aujourd’hui amplifié par l’intelligence artificielle, qui facilite les transitions vers l’entrepreneuriat. Cette nouvelle relation au travail entraîne également des carrières moins prédictibles, avec des transitions ou des chevauchements entre différents statuts professionnels. Pour maximiser les bénéfices de cette nouvelle ère technologique et culturelle, il est crucial d’accompagner ces carrières en alliant liberté et stabilité.
Une évolution culturelle
Au cours du XXe siècle, la mise en place de l’État social a été caractérisée par la généralisation du salariat. Représentant stabilité et protection, le salariat a longtemps été la norme dominante du travail et un objectif pour la majorité des actifs. Bien que beaucoup soient encore salariés, de nombreux indicateurs montrent que nous sommes à la veille d’un changement majeur. Ce changement se manifeste notamment par l’émergence d’une culture entrepreneuriale, stimulée par le désir de plus de liberté, de sens et de flexibilité. Plus d’un million d’entreprises ont vu le jour en 2024, un chiffre record (+6 % par rapport à 2023), avec près de 40 % fondées par des moins de 30 ans. Ces chiffres témoignent clairement que la transition culturelle vers l’indépendance est solidement établie dans notre économie.
L’impact de l’IA sur la transition entrepreneuriale
Cependant, c’est à une transformation encore plus radicale que nous devons nous préparer avec l’avènement de l’intelligence artificielle. L’IA a déclenché un processus qui élimine toutes les barrières à l’entrepreneuriat. Les compétences techniques spécifiques sont remplacées par des algorithmes qui simplifient la création de services en ligne pour tous. Les coûts initiaux sont réduits grâce à l’automatisation de nombreuses tâches. Il devient ainsi plus facile de se lancer dans un projet entrepreneurial personnel plutôt que de rester dans un emploi salarié. Peut-être ne devrions-nous pas opposer ces deux modèles. Le nouvel environnement culturel et technologique favorise un modèle modulaire, où chacun, selon ses besoins et ses projets, peut alterner ou combiner les statuts de salarié, étudiant, auto-entrepreneur, en portage salarial, ou encore dirigeant d’une SASU.
Le retard des institutions financières et administratives
Cette mutation culturelle des carrières a été en partie encouragée par des réformes basées sur le principe de flexi-sécurité et la promotion de l’auto-entrepreneuriat. Néanmoins, il est évident que la transformation institutionnelle est loin d’être achevée. L’administration, les banques, la sécurité sociale, les mutuelles et l’ensemble des institutions de protection sociale sont encore à la traîne dans l’intégration de ces parcours modulaires. Dans un contexte d’inflation immobilière, la pénalisation des profils atypiques a des répercussions financières à long terme, contraignant de nombreux travailleurs indépendants à rester locataires, et donc à vivre une certaine précarité.
Concilier liberté et sécurité
Les discussions sur l’avenir du travail mettent souvent de côté cette dimension essentielle des parcours professionnels. La liberté et la flexibilité offertes par l’indépendance, rendues possibles par l’IA, sont devenues des valeurs de référence incitant des millions de personnes à jongler entre différents statuts. Toutefois, ce modèle ne repose pas uniquement sur des choix individuels et nécessite un soutien institutionnel. Plus que de simples statuts juridiques, c’est une vision du travail ajustée aux aspirations de chacun qu’il faut désormais intégrer dans les pratiques. Les acteurs publics et privés qui réussiront à modéliser cette réalité et surtout à outiller les individus pour l’expérimenter pleinement prendront une longueur d’avance. L’avenir du travail ne se limitera pas à un choix binaire entre indépendants et salariés, mais reposera sur une évidence sociologique : le parcours professionnel est maintenant une constellation.